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Entretien avec Ibrahima Coulibaly,
de l’organisation malienne CNOP

(Coordination Nationale des Organisations Paysannes)

Prendre le contrôle de la base sociale de l’économie

Matola, Mozambique


Ibrahima Coulibaly dans Matola, Mozambique. Fotos par Nic Paget-Clarke.
Ibrahima Coulibaly dans Matola, Mozambique. Fotos par Nic Paget-Clarke.
Ibrahima Coulibaly dans la Ve Conférence Internationale de La Via Campesina.
Ibrahima Coulibaly dans la Ve Conférence Internationale de La Via Campesina.
Marché dans Lichinga, Niassa, Mozambique.
Marché dans Lichinga, Niassa, Mozambique.
Dans Sanga près de Lichinga, Niassa, Mozambique.
Dans Sanga près de Lichinga, Niassa, Mozambique.
Dans Marracuene, près de Maputo, Mozambique.

Dans Marracuene, près de Maputo, Mozambique.


Interpreter Judith Hitchman.
La interprète Judith Hitchman.
Ibrahima Coulibaly est le président de l’organisation malienne CNOP (Coordination Nationale des Organisations Paysannes / National Coordination of Peasant Organizations). La CNOP est une organisation membre de La Via Campesina, un regroupement d’organisations, membres d’un mouvement mondial de paysans, composé d’agriculteurs familiaux, d’autochtones et de sans terres. L’entretien a été réalisé (puis édité) par Nic Paget-Clarke pour In Motion Magazine, le 22 octobre 2008, lors de la Ve Conférence Internationale de La Via Campesina. La conférence s’est tenue dans les locaux de l’école du Parti FRELIMO de Matola (Mozambique). L’interprétation français / anglais a été assurée par Judith Hitchman.La traduction de l'entretien de l'anglais vers le français a été réalisée par Audrey Mouysset.

Des origines paysannes

In Motion Magazine: Êtes-vous originaire d’une famille de paysans?

Ibrahima Coulibaly: Tout à fait. Je suis issu d’une famille de paysans, mais je suis allé à l’école, j’ai suivi des études d’agronomie. Au terme de mon cursus, je me suis installé comme paysan.

In Motion Magazine: De quelle région du Mali êtes-vous originaire?

Ibrahima Coulibaly: Je suis né dans la région de Ségou, au centre du Mali. C’est là que j’ai grandi et que je suis allé à l’école. Je vis toujours dans le centre du Mali, dans la région de Koulikoro. Mon exploitation se situe à une centaine de kilomètres de Bamako, la capitale.

In Motion Magazine: Que cultivez-vous?

Ibrahima Coulibaly: Nous faisons plusieurs choses différentes. La raison est très simple, en effet -- notre stratégie est de ne pas nous spécialiser, parce que nous savons très bien que si nous rencontrons des problèmes avec une culture, ou une production, la seule possibilité de s’en sortir est de cultiver autre chose.

Je cultive donc des céréales, notamment du maïs et du sorgho. Certaines années, je fais aussi du fonio, une céréale spécifique à l’Afrique de l’Ouest. J’ai aussi du bétail -- des bovins, des chèvres, et j’ai commencé l’apiculture cette année. J’ai des arbres fruitiers et je fais aussi du maraîchage. Nous nous efforçons de tirer profit de tout ce que nous faisons, afin d’assurer la survie de l’exploitation. C’est ce qui permet à toutes les personnes qui travaillent sur l’exploitation de survivre.

In Motion Magazine: S’agit-il d’une exploitation familiale ou d’une exploitation communautaire?

Ibrahima Coulibaly: D’une exploitation familiale. C’est la raison pour laquelle je peux me permettre de voyager comme je le fais. C’est mon frère cadet qui gère l’exploitation en mon absence. C’est extrêmement important, car ma famille travaillant sur l’exploitation, je suis libre de réaliser mes activités au sein du mouvement paysan, ce qui me permet d’honorer mes nombreuses responsabilités.

Le mouvement paysan autonome

In Motion Magazine: Pourriez-vous me dire quelques mots sur l’histoire de votre organisation? Quand a-t-elle été créée?

Ibrahima Coulibaly: Les débuts du mouvement paysan au Mali remontent à 1991. Quand je parle de “mouvement paysan”, j’entends le mouvement paysan autonome. Il existait en effet un mouvement paysan pendant la dictature (Général Moussa Traoré, chef de l’État / Président de 1968 à 1991), mais il était composé de coopératives crées et contrôlées par l’État a travers des services spécialises, ces coopératives ne disposaient absolument d’aucune liberté d’action.

Lorsque le peuple malien s’est soulève contre la dictature et que le dictateur a été renversé, en 1991, l’ensemble de la société a alors pu s’organiser librement, et toutes les coopératives contrôlées par l’État ont disparu. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à nous organiser de manière différente. Les premières organisations paysannes libres ont vu le jour. Certains ont pris la forme des syndicats d’autre un statut associatif en quelques années le pays comptait beaucoup de mouvements paysans de taille et de force différentes. En 1993, nous avons pris l’initiative d’organiser une rencontre, à laquelle nous avons invité les principaux mouvements, afin d’examiner la possibilité de travailler ensemble pour influer efficacement sur les politiques gouvernementales.

C’est lors de cette rencontre que nous nous sommes rendu compte que nous rencontrions tous les mêmes problèmes -- problèmes d’accès aux matériels agricoles, d’obtention de prêts bancaire pour nos activités, absence de garantie sur la propriété de nos terres, bas prix de nos produits agricoles, vulnérabilité face aux a les climatiques fréquents dans le Sahel, etc.

Nous peinons beaucoup à vendre nos productions car le gouvernement malien dans les années 1980, sous la pression de la Banque Mondiale, avait libéralise les marchés de l’alimentation, ce qui rendait les produits importés moins chers que LES productions locales. Les paysans ne pouvaient pas écouler leurs produits correctement. Les prix étaient très bas. C’est pour cela que nous avons décidé de nous mettre ensemble afin de changer la situation.

Nous avons alors créé la Commission Paysanne, dont le but était d’aider les organisations à échanger afin de créer une dynamique croissante. Cette commission a travaillé de 1993 à 1995.

Au tout début, nous avons répertorié ce dont nous avions besoin, les moyens nécessaires pour nous réunir et travailler ensemble, tout cela pour aller dans une direction commune. Nous nous sommes rendu compte que nous avions pour cela besoin de trouver des fonds. Nous avons réparti l’argent dont nous avions besoins entre les différentes organisations comme cotisation a payer. Il s’agissait alors travailler de façon autonome avec nos fonds propres. C’est ainsi que nous avons lancé la dynamique.

Ne pas prendre le pouvoir

En 1995, lorsque la Commission Paysanne a préparé une assemblée générale qui nous a permis de créer la première fédération légalement reconnue. Il s’agissait de l’AOPP, (l’Association des Organisations Paysannes Professionnelles). Elle regroupait des producteurs de céréales, des petits agriculteurs familiaux, des familles cultivant du coton et des céréales, des familles élevant du bétail et cultivant d’autres produits sur leurs exploitations. Il s’agissait de la première organisation construite à partir de la structure de l’agriculture familiale.

Cette organisation devait nous mettre de nous positionner pour discuter de nos problèmes avec le gouvernement afin que se développent de nouvelles politiques adaptées a nos attentes et priorités paysannes. La tâche a été très difficile, car les agents du Ministère de l’Agriculture d’alors n’était pas habitués à voir des paysans  et des agriculteurs familiaux organises venir leur parler de changement de politique agricole. Ils nos ont rendus les débuts très difficiles, car ils pensaient en ce moment que le paysan n’avait pas d’idées a proposer pour leur propre développement et que cette tache était uniquement de leurs ressort a eux.

Au début, on nous riait au nez. Personne ne voulait discuter avec nous de façon sérieuse et prendre en compte nos propositions au niveau des services d’état. Mais nous ne nous sommes pas laissé abattre. Nous avons persévéré et développé des alliances. Nous avons également construit une stratégie efficace.

Chaque fois que nous organisions une réunion, nous invitions des membres du personnel du Ministère de l’Agriculture. Ils répondaient à l’invitation et prenaient part aux débats, ce qui leur a permis de comprendre que les problèmes que nous évoquions étaient des problèmes réels, des difficultés véritables auxquelles nous étions confrontés. Ils ont compris que notre ambition n’était ni de prendre le pouvoir, ni de nous asseoir dans des bureaux ou d’entrer au gouvernement. C’est pour cela que nous avons réussi. Cela a demandé un certain temps, mais nous y sommes parvenus.

C’est ainsi que nous avons pu développer un réseau de sympathisants au sein du Ministère de l’Agriculture et ce sont des personnes comme celles-ci qui ont commencé à nous apporter leur soutien, en mettant à notre disposition des informations dont notre organisation avait besoin.

Nous avons ensuite reçu le soutien financier d’un certain nombre d’ONG. Ceci nous a beaucoup aidé parce que nous n’avions pas les moyens de réaliser tout ce à quoi nous aspirions. La coopération française avec l’appui de AFDI (Agriculteurs Français et Développement International) nous a octroyé un fond souple pour nos activités notamment de formation. Ce fonds nous a énormément aidé parce qu’il nous a permis de former nombre de nos membres. Nous avons réalisé de nombreux échanges entre paysans. Nous avons ainsi pu diffuser une grande quantité d’informations au niveau local.

Au fur et à mesure que l’AOPP progressait, d’autres fédérations ont vu le jour. En 1996, les représentants de l’AOPP se sont rendus a une évidence, “l’AOPP n’était plus la seule fédération paysanne d’autres fédérations émergeaient”. Très souvent quand le gouvernement se trouvait en difficulté sur certaines questions il préférait jouer a l’instrumentalisation des entités les plus faibles du mouvement paysan et ainsi affaiblir la position des organisations paysannes. C’est alors que l’AOPP a décidé d’organiser une grande rencontre avec l’ensemble des différentes fédérations paysannes en vue de trouver une solution a cette dispersion des énergies paysannes.

La Coordination Nationale des Organisations Paysannes

La réunion s’est mal terminée en raison des nombreuses frictions entre les différents dirigeants présents.

Bien que nous affirmions que nous devions travailler conjointement pour faire avancer les choses, les autres fédérations pensaient que l’AOPP voulait prendre le leadership et les dominer. Mais l’AOPP souhaitait juste se poser en porte-parole des autres organisations. Il a fallu beaucoup de temps pour tisser une relation de confiance entre les différentes organisations. L’important est que la réunion a donner naissance à l’idée de créer une plate-forme de discussion entre les différentes organisations. C’est de la qu’est née l’organisation que je préside actuellement, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes (CNOP), qui compte aujourd’hui onze fédérations et qui est à l’origine de la première politique agricole authentique élaborée au Mali, qui reconnaît le concept de souveraineté alimentaire -- la loi d’orientation agricole.

L’idée de créer la CNOP était bonne, car tant que nous étions dans le même ensemble, le gouvernement ne pouvait pas nous dresser les uns contre les autres. Toutes les fédérations savaient qu’il existait une ligne directrice globale et qu’il ne servait à rien de construire des alliances de circonstance avec le gouvernement pour infléchir la position de la majorité. Nous avons dû attendre de 1996 à 2002 pour parvenir à cela.
En raison des trop nombreuses luttes de pouvoir, il nous a fallu six ans pour créer cette plate-forme de discussion. Il n’existait aucune confiance entre les organisations. Nombre d’entre elles craignaient d'être dominées par une autre. Cette situation devait être clarifiée. Nous devions trouver quelle organisation pourrait faire office de locomotive pour tirer en avant le reste de la machine. Tout le monde disait que l’AOPP était la mieux placée pour diriger, mais il allait nous falloir six ans pour atteindre des résultats concrets en terme d’organisation formelle.

In Motion Magazine: Combien de membres la CNOP représente-t-elle?

Ibrahima Coulibaly: Je pense que nous représentons aujourd’hui les intérêts d’environ de 2 500 000 paysans et agriculteurs familiaux à travers les différentes fédérations. Il serait faux de dire que nous représentons tout le monde, parce que 80 % de la population Malienne sont des paysans qui vivent et travaillent sur les exploitations familiales. Mais notre base de calcul est le nombre d’exploitations familiales enregistrées au sein des différentes organisations. Il serait prétentieux d’avancer que nous représentons tous les agriculteurs et paysans possédant des exploitations familiales, mais nous parlons au nom de tous les paysans, parce que le gouvernement reconnaît que nous sommes ceux à qui il faut parler, pour aborder toutes les questions d’agriculture et de développement rural.

L’agriculture familiale: la base de la richesse de notre pays

In Motion Magazine: Quels sont les principaux problèmes auxquels vous êtes confrontés?

Ibrahima Coulibaly: La question la plus importante aujourd’hui est celle de l’avenir de l’agriculture familiale, et de la place qu’elle doit occuper dans les stratégies nationales de développement de notre pays. Quand je parle d’agriculture familiale, j’entends la vie des hommes, des femmes et des enfants qui travaillent dans des exploitations agricoles familiales et qui sont à la base de la richesse de notre pays.

Laissez-moi vous donner un exemple très simple. Au Mali, le secteur agricole représente plus de 55% de la richesse nationale, mais l’État attribue moins de sept pour cent (7%) du budget à ce secteur. C’est la raison pour laquelle ce secteur ne se développe pas. Ceci est un grand défi pour nous. Si nous ne parvenons pas à inverser la vapeur a ce niveau, nous n’obtiendrons jamais de résultats probants.

Pour nous, le premier combat consiste à trouver un juste équilibre entre les intérêts des paysans, des agriculteurs, des villages, et ceux des personnes vivant en ville, les communautés urbaines. L’ensemble du système politique africain ne vise qu’à développer les villes. Tout est mis en place pour que les populations des villes disposent d’aliments à des prix raisonnables. Bien peu sont les villages qui disposent effectivement d’infrastructures, telles que l’électricité, l’eau, les connexions téléphoniques. Aussi des investissements doivent être faits pour développer les activités que mènent les familiales paysannes afin de créer un mieux être en milieu rural, c’est cela qui va assurer l’avenir de notre pays car on peut pas développer un pays en laissant sur le quai 80% de la population.

Il s’agit d’une question épineuse entre notre organisation et le gouvernement. Le gouvernement nous dit qu’il a beaucoup investi dans les zones rurales, qu’il a créé des écoles, des centres de santé, construit des pistes et des routes. Nous ne pensons pas que l’on puisse parler d’investissement dans l’agriculture dans ce cas. Il s’agit du développement d’infrastructures structurants. Ce dont nous avons besoin, ce sont des investissements dans les exploitations familiales, parce que, selon nous, les besoins de production, de commercialisation, de couverture sociale des familles paysannes doivent être couverts.

L’un des principaux problèmes actuels est que 55 % des familles paysannes maliennes n’ont pas d’équipement générique (de charrue une paire de bœuf pour tirer cette dernière une charrette et un âne, pour porter la récolte et la fumure organique. C’est l’équipement minimum de base dont doit disposer toute famille afin de pouvoir vivre dignement. Nous avons besoin d’une stratégie pour investir dans ce genre de domaines.

Au-delà de cela, les petites exploitations cultivent de nombreux produits, mais les marchés locaux sont déstabilisés. C’est pour cette raison que nous avons exigé la reconnaissance de la souveraineté alimentaire pour protéger nos productions locales et pouvoir vendre nos produits à des prix rentables sur nos marches locales. Contrairement aux idées reçues des pays comme le Mali peuvent survenir à leurs besoins alimentaires sans grandes difficultés. En certaines années de bonne pluviométrie au Mali il arrive que les petites exploitations familiales produisent plus d’un million de tonnes de céréales au des besoins nationaux ce qui signifie -- surproduction. Nous rencontrons d’importantes difficultés pour vendre nos excédents alors car les prix s’effondrent. Et tous les problèmes se répercutent directement sur les paysans. Le système public d’achat des excédents à un prix permettant aux paysans de continuer à travailler fait partie d’une stratégie minimale que nous voulons que le gouvernement applique afin que nous puissions commencer à vraiment à nous développer.

Ce sont les priorités que nous présentons au gouvernement.

Le syndrome de la colonisation

In Motion Magazine: Pourriez-vous me parler de la période coloniale française?

Ibrahima Coulibaly: L’empreinte de la colonisation en Afrique est encore présente et je ne sais pas si nous parviendrons à nous en débarrasser un jour. Le sous-développement vient de là, et non pas de notre soit disante pauvreté, parce que pour nous, dans nos esprits, nous ne sommes pas pauvres. Si vous vous rendez dans un village et que vous demandez qui est pauvre, personne ne va lever la main, alors qu’au niveau international, nos gouvernements se battent pour être classe parmi les pays les lus pauvres en vue de capter l’aide mais ces aides n’arrivent risque jamais aux pauvres. Il s’agit là d’une attitude incohérente très grave. Pour la plupart des paysans, le premier acte de dignité consiste à pouvoir se nourrir. Toute famille en mesure de se nourrir ne se sent pas pauvre en milieu rural parce que la nourriture est la base de la vie et le début de toute dignité familiale et humaine.

Donc, pour revenir à la question de la colonisation, cette dernière a créé une élite africaine. Tant que cette élite restera au pouvoir, je pense que nous continuerons à rencontrer des problèmes. Ces personnes sont comme nous physiquement, mais elles pensent et agissent exactement comme les colonisateurs d’alors.

Ces personnes sont toutes originaires des zones rurales, mais elles ne connaissent rien de leurs racines. Lorsque vous passez dix ans sans même revenir dans les campagnes, dans votre village, alors que vos parents paysans vous ont nourri, envoyé à l’école, permis d’obtenir un diplôme, de déménager en ville et de décrocher un poste haut placé dans la fonction publique, c’est une trahison. Il n’y a pas d’autre mot, parce que vous ne pouvez plus représenter les intérêts de ces personnes. C’est avec 80 % de la population que vous avez perdu contact.

C’est comme cela qu’une petite minorité prend l’avantage sur la majorité pour devenir une élite hors sol qui opprime les paysans. Voilà le vrai problème du syndrome de la colonisation en Afrique. La colonisation est finie juridiquement mais au quotidien elle est toujours en cours seul les acteurs ont changes.

Ceci est un problème grave et interne à l’Afrique, et nous devons en prendre conscience. Cela ne sert à rien de dire que les États-Unis ou l’Europe en sont responsables. Nous devons trouver quels sont les responsables dans nos pays. Il y a des choses que nous ne pouvons plus pardonner. Je suis essentiellement et fondamentalement non-violent, mais je pense que certaines situations nous poussent à la violence, nous, les Africains, Les gens ne comprennent pas quand il y a des conflits graves qui aboutissent a des excès les télévisions du monde montrent l’image d’une Afrique primitive voire sauvage mais il y a beaucoup de faits dans le monde qui montrent que nous sommes comme tous les autres peuples l’excès de frustrations et d’injustices peut changer beaucoup de personnes et aboutir a des actes inqualifiables. Tout cela prend sa source au niveau de ces africains qui trahissent d’autres africains, tous les jours. Ce sont des Africains de l’élite qui trahit qui importent des concepts complètement inadaptés et destructeurs pour nos pays.

Les séquelles de la colonisation

Laissez-moi vous donner un exemple très simple. Nous nous sommes battus pour que nos gouvernements en Afrique de L’Ouest reconnaissent l’agriculture familiale comme base de notre développement. Il se trouvait que depuis les années 80 la Banque Mondiale et le FMI, ainsi que les pays développés, avaient mis dans la tête de l’élite politique Ouest-Africaine que l’agriculture paysanne n’était pas rentable et qu’elle devrait être remplacée par l’agribusiness. Il nous a fallu dix ans de lutte pour influer sur cette façon de voire les choses. Pourtant cette agriculture familiale emploie 80% de notre population c’est de détruire cela qu’il était question tout simplement.

Pouvez-vous imaginer un pays dans lequel 80 pour cent des personnes ne demandent pas au gouvernement de leur fournir un emploi? Tous les jours, quand j’allume la radio, j’entends que la première préoccupation dans les pays développés est de créer des emplois pour des masses de chômeurs. Dans notre pays, 80 pour cent de la population crée ses propres emplois. Et le gouvernement écoutent des gens qui leurs suggèrent de démolir cela. C’est insensé, si ce projet avait abouti, tous les pays africains qui se seraient laisses tentes seraient aujourd’hui en guerre. Ils seraient ravagés car les paysans qui seraient alors jettes hors de leurs terres n’aillaient pas se laisser mourir tranquillement; ils allaient venir dans les capitales et exiger leurs droit a la vie et comme il n y a pas assez de ressources pour tous en ville cela n’aurait pu aboutir qu’a des guerres civiles car jamais les gouvernements ni leurs allies Banque Mondiale et FMI n’aurait pu créer assez d’emploi pour tous les exclus de l’agriculture familiale.

Tout cela résulte des séquelles de la colonisation. L’Afrique doit se débarrasser de cette élite dans la prise de décision ou du moins changer Sa mentalité ce qui est plus compliquée parce que c’est elle qui crée tous nos problèmes. Le problème n’est pas que les Africains ne sont pas performants. Sans pratiquement aucun équipement agricole moderne, nous parvenons au Mali à produire quand il pleut normalement le million de tonnes d’excédent de céréales. Qui dit que nous ne sommes pas performants?

Certains continuent encore a soutenir que les paysans doivent être remplacés par des sociétés agribusiness, Mais dans les dures réalités de l’Afrique ces entités ont fait maintes fois la preuve de leurs inefficience. J’ai vu des sociétés de l'agro-alimentaire, toutes subventionnées par les gouvernements, s’implanter au Nigeria, au Maroc, ou dans d’autres pays nord-africains. Aucun agriculteur familial n’a reçu de subventions ou d’aides de la part des gouvernements. Par contre, ces derniers veulent implanter de grandes entreprises de l’agribusiness subventionnées à grands renforts de fonds publics, de sorte qu’une petite minorité de personnes s’enrichisse et détruise le mode de vie de millions d’autres. Nous refusons cela.

Notre problème, celui auquel nous sommes confrontés, c’est que nous n’avons pas assez de temps ou d’énergie pour nous battre sur les axes qui nous permettait d’avancer réellement de façon positive, par exemple, pour nous réunir pour vendre nos produits de manière collective, pour créer des coopératives, gérer ensemble du matériel agricole de façon collective. Nous ne faisons que lutter contre des idées importes qui menaçant notre survie comme “Vous n’êtes pas la performant -- il implanter des sociétés de l’agribusiness en Afrique pour remplacer l’agriculture paysanne archaïque. Les OGM doivent être introduits dans l’agriculture africaine c’est la voie du progrès. Ils faut libéraliser encore plus le secteur agricole.” Nous passons notre temps à nous opposer à ce genre d’idées, qui n’ont rien à voir avec nos réalités et nos problèmes réels. Ce ne sont la que des créations de cette élite hors sol et leur allies dans les pays du Nord.

Les premiers ennemis de l’Afrique sont ceux qui travaillent sur ce type de projets et idées. Les vrais ennemis de l’Afrique sont sur le sol africain, et non pas à l’extérieur.

Dictateurs militaires / la démocratie

In Motion Magazine: La dictature est-elle un exemple de cette élite? Comment a-t-elle été renversée?

Ibrahima Coulibaly: C’est une bonne question, parce que cela va me permettre d’expliquer quelque-chose que les gens ont beaucoup de mal à comprendre. Lorsque nous avons obtenu l’indépendance, des dirigeants visionnaires étaient à la tête de la plupart de nos pays. Il s’agissait de personnes avec un sens certain de la dignité, qui comprenaient ce qu’était la souveraineté de l’État, qui avaient des projets pour leurs pays, même s’ils commettaient des erreurs, pourtant eux aussi étaient des produits de l’école coloniale. Ces leaders ont été renverses tous et des dictateurs militaires se sont empares du pouvoir ceux -- ci n’avaient aucun sens de la dignité, aucun sens de la souveraineté d’état, et leurs premières préoccupations étaient l’enrichissement personnel. Cela n’a fait qu’aggraver la situation de nos pays.

Dans les années 1990, la situation politique s’est crispée. Les peuples se sont insurgés non seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes. La population disait qu'elle voulait voir les choses changer. La dictature a été renversée par la mobilisation populaire. Des conférences nationales ont été organisée pour adopter des constitutions d’état de droit et de démocratie. La constitution de l’état du Mali comme celle de beaucoup d’autres pays africains d’ailleurs est probablement tout aussi démocratique que celle des États-Unis, voire même plus. Mais rien n’a réellement changé dans les fait dans les fait dans la plupart des pays africains.

Ce n’est pas parce qu’on peut insulter le Président de son pays sur les ondes d’une radio libre sans être inquiété que les problèmes sont résolus. Voilà ce que beaucoup confondent aujourd’hui avec la démocratie, en vérité il n’y a aucune participation dans la gouvernance des couches les plus vulnérables pour exemple au Mali il n y pas un seul vrai paysan parlementaire élu a l’assemblée nationale car sans grands moyens il est impossible de se faire élire car nos systèmes électoraux ne marchent qu’avec l’achat des voix. Avoir la liberté de parole uniquement ne règle absolument rien si on est superbement ignore dans la prise des décisions. Le problème, c’est qu’on a instauré un système politique qui ne rend de comptes à personne. Je pense que la dictature aurait été meilleure en la matière, dans un certain sens. Oui, tout le monde savait qu’il s’agissait d’un groupe de pilleurs corrompus au pouvoir, qui s’enrichissaient personnellement, mais personne ne les respectait.

Aujourd’hui, vous pouvez critiquer le gouvernement, vous pouvez vous mobiliser, critiquer, mais la situation demeure tout aussi incohérente. Et cela nous ramène à la question de savoir s’il est utile de lutter pour ce type de “démocratie au rabais”. La démocratie ne devrait pas consister uniquement à élire un président ou des députes au parlement. La démocratie devrait être un système permettant de construire le développement au jour le jour, tous ensemble. C’est ce qui manque en Afrique et qui crée notre frustration aujourd’hui.

Je me demande quel est l’intérêt de remplacer un système politique par un autre, parce qu'ils sont tous identiques, en somme. Tout ce que la démocratie a fait, c’est augmenter le nombre de corrompus. Elle n’a pas résolu les problèmes de l’Afrique. L’on peut élire des députés, des ministres, mais le système de base demeure. C’est l’une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui, le mouvement paysan discute une question fondamentale qui consiste à se demander si les paysans peuvent inverser la vapeur sans prendre le pouvoir. Est-ce qu’il ne faudrait pas que nous soyons bien plus qu’un mouvement paysan et nous politiser davantage?

Nous n’avons encore pris aucune décision, mais le sujet est en cours de discussion. Et si nous prenions le pouvoir, la situation serait-elle différente? Nous n’avons pas de réponse. Les choses sont plutôt compliquées. Quand je regarde la situation actuelle des régions progressistes d’Amérique latine, telles que le Venezuela et la Bolivie, je vois bien qu’il existe une base sociale, mais les problèmes persistent. C’est une vraie question pour moi.

Marchés locaux

In Motion Magazine: Parmi les idées sur lesquelles vous travaillez au sein de votre organisation, existe-t-il des solutions améliorant la situation actuelle des populations? Des solutions qui seraient liées à une économie solidaire, par exemple ?

Ibrahima Coulibaly: Je dois dire que toute la stratégie de mon organisation pour les dix prochaines années se base sur le contrôle des marchés locaux, parce que nous pensons qu’ils représentent le futur. Tout est en train de se jouer a ce niveau. Pour vous dire la vérité a nos débuts, nous avons été très peu actifs sur ce chantier au sein de notre organisation. Nous avons remporté de nombreuses victoires, en termes de politique agricole, mais nous devons maintenant nous en approprier nos marches pour vendre nos produits et en vivre dignement.

Le problème, c’est que nous sommes face à un bloc d’intérêts qui ne veut pas prendre un avantage. Pour tous les importateurs de riz, de lait en poudre, de farine, de maïs, qui financent les partis politiques, nous devons rester un pays dépendant sur le plan alimentaire. C’est notre principal problème. Nous avons une législation, qui stipule que nous avons des droits, mais il y aussi d’importants intérêts financiers associés à des intérêts politiques, et c'est ce à quoi nous nous faisons face.

Je pense que nous devons prendre le contrôle de la base sociale de l’économie et faire pression au niveau national pour que la loi d’orientation agricole soit appliquée. C’est notre objectif pour les dix ans à venir, au niveau stratégique.

Ce qui concerne la concentration de l’économie, je suis d'accord pour dire que la réalité est ce qu'elle est, mais je pense que les mouvements sociaux manquent cruellement de stratégie opérationnelle souvent. Nous rejetons toujours la faute sur les autres nous passons trop de temps en des critiques stériles mais nous devons agir véritablement plus souvent pour changer les situations. Notre stratégie au niveau du mouvement paysan malien maintenant consiste à nous dire que nous sommes responsables de nos destins. Au niveau interne, nous devons surmonter les obstacles qui sont devant et exclure ceux qui trahissent nos pays dans la prise de décision. C’est quelque chose de très clair pour nous.

Je pense qu’il est bien de dénoncer le système financier, mais je crois que nous devons nous opposer à ceux qui trahissent nos pays en utilisant ce système. Une société minière ne peut pas débarquer et extraire de l’or et des diamants sans d’abord signer un contrat avec le gouvernement. Une multinationale semencière ne peut pas commercialiser des OGM sans avoir signé un contrat avec le gouvernement. Une société commercialisant des boissons ne peut pas entrer sur le territoire et vendre ses produits sur le marché local sans avoir signé un contrat avec le gouvernement. Nous devons identifier nos objectifs clairement, et nos vrais cibles sont internes, parce que l’on ne peut jamais empêcher les gens de vouloir s’enrichir. Je pense qu’il s’agit d’une inclination naturelle, inhérente au caractère de l’humanité. Je pense que nous devons savoir réellement d’où viennent nos problèmes.

Nous devons aussi savoir ce que nous pouvons accomplir. Je ne peux pas combattre Monsanto à son siège aux États-Unis en tant que paysan malien, mais je peux m’opposer à mon Ministre de l’agriculture, à mon Ministre de l’Environnement, à mon Président de la République, parce qu’ils sont dans mon pays. Si j’ai des problèmes, c’est à cause d'eux, qui laissent entrer Monsanto dans le pays. Voilà notre stratégie. C’est pourquoi nous devons nous mobiliser pour dire à ces gens: “Votre devez nous protéger. Et non nous vendre au premier venu, a ce titre nous devons être prépares a ne pas accepter des faits accomplis et leur dire ceci. Même si vous votez des lois, des lois qui bafouent nos intérêts, nous ne les respecterons pas, nous ne les accepterons pas.”

Je pense que c’est comme cela que l’on peut changer les choses. Les gouvernements sont très manipulateurs. Parfois, ils font croire au peuple et aux masses populaires qu’ils sont de leur côté, et qu’ils les soutiennent. Mais vous pouvez vous rendre compte très vite de la facilité avec laquelle les intérêts divergent lorsqu’ils posent certains actes. Il faut toujours être très prudents.

La récolte: un moment critique de l’année, à l’origine de la pauvreté

In Motion Magazine: Pourriez-vous me parler un petit peu des coopératives et des marchés collectifs et m’expliquer comment ils fonctionnent ?

Ibrahima Coulibaly: Il existe déjà au sein du mouvement paysan malien des groupements pour vendre les produits de récolte de manière collective.

In Motion Magazine: Vous voulez dire traditionnellement parlant?

Ibrahima Coulibaly: Non, c’est un dispositif qu’a mis en place le mouvement paysan. Par le passé, la vente au sensé actuel du terme n’existait pas. Nos grands-parents n’avaient pas très souvent recours à l’argent. Ils utilisaient des coquillages, des cauris, et ils étaient certainement plus heureux que nous. Aujourd'hui pour vivre nous devons vendre ensemble, collectivement nos récoltes. Les groupes de commercialisation que le mouvement paysan a crée démontrent que le système de vente collectif fonctionne. L’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les agriculteurs est la gestion des stocks après la récolte. Au moment où vous récoltez votre champ vous ne disposez d’aucune réserve financière. Si un membre de votre famille tombe malade, si vous voulez mettre vos enfants à l'école, vous devez vendre votre récolte rapidement. En ce moment-là, les prix sont au plus bas.

Le seul moyen de faire face à cette situation est que les personnes qui rencontrent des problèmes financiers, en ces moments-là, reçoivent de l’argent en liquide pour résoudre leurs problèmes, sans avoir à vendre leur récolte de façon prématurée. C’est pourquoi les systèmes nationaux de régulation, en termes d’achat, sont très importants. Au moment des récoltes les spéculateurs sont les rois du marché. Il n’est pas rare qu’ils achètent des produits à 50% de leur coût de production et qu’ils les revendent deux mois plus tard trois fois plus cher.

Notre stratégie dans ce domaine se base l’existence d’un fonds afin de résoudre les problèmes urgents des membres, et stocker un certain volume de céréales équivalent à la quantité d'argent reçue selon les prix en cours sur les marches locaux. Ainsi la production peut être stockées et vendues lorsque les prix augmenteront au delà des coût de production et permettent un léger bénéfice. Une partie de ces bénéfices consolidera la capacité financière de la coopérative.

Le seul facteur qui nous limite aujourd'hui est de savoir comment aider les coopératives à obtenir l’argent dont elles ont besoin pour résoudre les problèmes urgents. Des fonds tels que ceux fournis actuellement par la Fondation Bill Gates pourraient être utiles pour ces besoins réels de ce genre et non être dilapides soit disant pour créer de nouvelles variétés et des OGM ce qu’aucun paysan n’as demandes en Afrique. La vrai cause de la vulnérabilité paysanne vient du fait que les paysans sont obliges de brader a vil prix leurs produits a la récolte. C’est la cause première des problèmes que rencontrent les paysans et les agriculteurs familiaux. Vous cultivez suffisamment pour répondre à vos besoins. Vous avez des excédents mais vous devez tout vendre car vous avez besoin d’argent pour faire face à une situation qui vient de surgir. Six mois plus tard, vous êtes en difficulté parce que vous n’avez pas assez d’argent pour acheter la nourriture pour votre famille. Vous êtes contraint d’acheter à manger quant même, alors que le coût de la nourriture est peut-être quatre fois supérieur à celui de vos produits au moment de la récolte.

In Motion Magazine: Ces coopératives et ces systèmes de vente collective engendrent-ils un contrôle plus local?

Ibrahima Coulibaly: C’est un peu difficile à dire car tout le monde ne fait pas partie d’une coopérative. Mais ceux qui en sont membres sont très satisfaits de la manière dont le système fonctionne.

Certains n’ont pas besoin de faire partie d’une coopérative parce qu’ils ont du bétail, une réserve qui peut leur permettre d’être autonomes. Cependant, la plupart des paysans pauvres ou la population la plus vulnérable se sentent très à l’aise dans les coopératives parce qu'elles résolvent les difficultés financières.

Accès à la terre: la question des actes de propriété collectifs

In Motion Magazine: Je vous entendais hier vous exprimer sur l’accès à la terre en Côte d’Ivoire et au Zimbabwe. Quelle est la situation au Mali, et en Afrique, dans son ensemble?

Ibrahima Coulibaly: Les problèmes liés à l’accès à la terre, en Afrique, d’une manière générale, à l’exception de pays comme le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, vient du fait que l’Afrique a pu se débarrasser des colons, après les indépendances des différents pays, même s’il a fallu pour cela les chasser. Ces colons ont laissé les terres derrière eux. C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu introduire des politiques positives. Mais aucun gouvernement n'a pris position pour reconnaître les droits de communautés par le biais de documents écrits.

C’est là que réside notre problème. Nous avons des terres, mais nous ne disposons d'aucun acte pour en prouver la propriété. L’état peut retirer des champs à tout moment a leur propriétaire. Il peut faire passer une ligne électrique haute tension par un champ sans demander la permission au propriétaire des lieux. Sur cette question de la terre nos états peuvent encore faire ce qu’ils veulent. On peut prendre la terre aux paysans car tout simplement il y a encore des lois stipulent que toutes les terres appartiennent à l’état.

In Motion Magazine: C’est le cas au Mali?

Ibrahima Coulibaly: Oui, sauf pour les terres pour lesquelles il existe un acte de propriété. D’une manière générale, les actes de propriété concernent les personnes des villes, les fonctionnaires qui peuvent se permettre de faire rédiger des actes pour leurs terres, parce que cela coûte très cher. Dans la nouvelle politique agricole, le gouvernement a accepté l'idée d'assurer la protection des agriculteurs familiaux a travers une sécurisation de leurs droits sur leurs terres. C’est un grand pas en avant.

Il existe également un danger réel de voir un marché foncier émerger, le marché de l’immobilier se développe autour des villes et cela prend de l’espace sur les campagnes. Ainsi si on accorde des droits individuels et des actes sur une terre à des personnes individuelles, ces derniers peuvent vendre la terre en toute légalité. Par contre, en accordant des actes de droits collectifs, on peut stopper la spéculation et sécuriser la terre pour l’agriculture.

Par exemple, je ne suis pas d’accord avec les théories soit disant pro-femmes qui soutiennent qu’on doit accorder des terres avec des droits particuliers aux femmes en priorité, car ce sont ces dernières ne connaissent les plus graves difficultés. Ceci peut être une boite de pandore car tous les paysans hommes et femmes dans la majeure partie des pays africains sont a la même enseigne. Pour nous ce sont les droits collectifs des familles paysannes qu’il faut protéger, et non ceux des individus. Voilà pourquoi nous luttons pour définir des équitables Pour chaque membre de la famille paysanne et pour garantir que les femmes et les hommes disposent des mêmes prérogatives dans un cadre collectif face a la terre. C’est pourquoi nous développons dans notre législation un statut spécifique pour les agriculteurs familiaux, qui donne les mêmes droits et obligations à tous les membres de la famille femmes, hommes et jeune. Nous pensons qu’il s’agit de la seule manière d’éviter les problèmes dans l’avenir.

Pour nous femmes et hommes peuvent être chefs d’exploitation familiale paysanne. La question de fond n’est pas là. Le fait de dire que les femmes devraient être considérées comme un cas à part, distinct de la famille, est pour nous quelque chose de très dangereux dans les réalités que nous vivons. Nous avons eu de nombreuses discussions avec les femmes de nos mouvements a ce sujet et nous sommes parvenus à un consensus, qui consiste à définir un statut légal pour l’exploitation familiale paysanne qui garanti les droits et devoirs agaux pour tous (femmes, hommes, jeunes). C’est de cette manière que nous comptons résoudre ce problème épineux de terre.

Les femmes ne doivent pas dépendre des revenus des hommes

In Motion Magazine: Quelle est la signification de la campagne menée par La Via Campesina contre la violence faite aux femmes?

Ibrahima Coulibaly: La question de la violence renvoie à une réalité partout dans le monde, notamment en Afrique. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas nier parce que si tel est le cas. il s’agirai de quelque chose de grave. Quoi que nous disions, l’homme a toujours le pouvoir dans le monde, il est au pouvoir partout dans le monde. C’est vrai aux États-Unis, en France et au Mali. Les stigmatisations consistant à distinguer en la matière les pays développés des sous-développés ne tiennent pas la route. La question de la violence est beaucoup plus large que les clichés que l'on nous renvoie. Ces cliches soulignent, pour l’Afrique en général, que les Africains pratiquent la polygamie, alors qu’il ne s’agit pas du problème le plus sérieux.

Le point le plus important, et c’est valable pour tous les pays du monde, c’est que les femmes doivent avoir leur propre source de revenus, tout comme les hommes. Les femmes ne doivent pas dépendre des revenus des hommes. Les féministes des villes africaines, qui n’ont jamais passé une nuit dans un village, portent beaucoup plus de préjudices aux droits des femmes qu’elle ne règle les problèmes, faute de connaître la réalité du terrain. Ces groupes visent des objectifs qui ne font que renforcer la résistance des l’hommes face aux besoins réels d’émancipation de la femme. C’est pourquoi la question des droits de la femme doit devenir une bataille stratégique, du moins en Afrique pour les années a venir.

Ce que nous devons faire, c’est travailler pour que les femmes deviennent financièrement indépendantes des hommes. Tout suivra naturellement, ensuite. Tout reviendra en ordre, la polygamie disparaîtra. L’excision disparaîtra. Mais ce n’est pas en défendant une vision de combat frontal entre hommes et femmes que les femmes verront leur situation s’améliorer, et c’est tristement ce qui se passe la plupart du temps. Je pense que la situation est exactement la même dans tous les pays du monde.

Je suis profondément convaincu que les femmes doivent disposer des mêmes droits que les hommes, et le premier à me l’avoir dit a été mon père, qui avait quatre femmes. Il m’a dit, “Si un jour tu te maries, tu ne dois pas oublier que si ta femme quitte sa famille pour venir vivre avec toi, cela ne signifie pas que tu vaut plus qu’elle. Cela signifie que la société a voulu que les choses soient ainsi à un certain moment de l'histoire de l'Humanité.” Je ne crois pas avoir jamais entendu un discours plus progressiste que celui-là, et cela venait de la part de quelqu'un qui pratiquait la polygamie.

Lorsqu’il disait “à un certain moment de l’histoire de l’Humanité”, il était convaincu que les choses allaient évoluer. Je pense que c’est cela qui est important. Il y a des étapes par lesquelles il faut passer, mais la lutte doit être de tout les instants en ciblant bien les terrains sur lesquels on peut vraiment avancer.

Les traditions de support mutuel

In Motion Magazine: Vous avez dit qu’aux temps de l’échange de cauris, les gens étaient plus heureux. Est-ce que votre mouvement s’inspire de certaines de ces pratiques traditionnelles?

Ibrahima Coulibaly: Dans notre culture, nous avions de nombreuses traditions qui bâtissent la solidarité et l’esprit mutuel dans les communautés, mais nous sommes en train de les perdre. Il n’y a pas que dans les pays développés que les gens deviennent individualistes.

L’une des choses très importantes, pour nous, ce sont les organisations de jeunes dans nos villages, qui regroupent des jeunes prêts à travailler dans les champs des différentes familles. En un jour, ils font tout le travail sans aucun équipement: labourage, désherbage récolte, ... Le travail est fait en un jour. J’ai pu en profiter à plusieurs reprises.

Je cultive le fonio, certaines années. Pourquoi pas tous les ans, allez-vous me demander? Parce que sa récolte est très fastidieuse. Sans cet appui collectif, vous ne pouvez pas y arriver, parce que les graines tombent des épillets. Ce sont les jeunes de l’association qui vont d'exploitation en exploitation, qui aident une famille un jour, une autre le lendemain, et ainsi de suite. C’est une pratique que nous devons conserver.

Il serait difficile de revenir aux temps du troc, mais ce dernier existe toujours. Il existe de manière naturelle. Il n’est pas institutionnalisé au sein des organisations, mais il est naturel, pour une famille, d’échanger une chose contre une autre, d’emprunter un sac de céréales à une famille qui dispose d’un bon stock et de la rembourser après sa récolte. Ce sont des pratiques tout à fait normales dans notre société. Nous devons nous battre pour éviter qu'elles ne disparaissent, parce que les temps sont durs pour tout le monde. Et c’est quand les temps sont durs que les gens deviennent individualistes.

Ne pas perdre le contact avec la terre

In Motion Magazine: Quelle est selon vous l’importance de l’Assemblée des jeunes qui se réunit ici?

Ibrahima Coulibaly: L'important, c'est que les jeunes ne perdent pas le contact avec la terre. Je ne pense pas que la question soit de savoir s'ils assistent ou non à de grandes réunions, ou s'ils sont militants. Ils doivent d’abord et avant être paysans. Ils doivent cultiver la terre, aussi, parce que s’ils ne le font pas, ils n’ont aucune perspective d’avenir dans beaucoup de nos pays. Le travail de la terre est un travail difficile. Beaucoup de jeunes ne veulent plus travailler si durement aujourd’hui. C’est bien le problème. Ces mouvements sont utiles parce qu’ils forment les jeunes, mais nous devons être attentifs, afin de nous assurer qu’ils s’impliquent physiquement et qu’ils le font le travail des champs aux côtés de leurs aînés. C’est la base minimum de leur utilité.

Il ne suffit pas d’être originaire d’une zone rurale. Je pense que ce qui est en jeu, c'est la préservation d'un mode de vie, d'une manière de vivre, le maintien de pratiques qui se sont avérées efficaces. Il est évident que l’agriculture est ce que nous faisons de mieux dans pays pour vivre.

Même si personne ne vous achète vos produits, vous devez avoir de la nourriture pour vous nourrir. C’est la réalité et c’est le premier besoin de l’homme.

In Motion Magazine: Voyez-vous un corollaire entre les aliments et la démocratie réelle?

Ibrahima Coulibaly: Oui. Je pense que dès lors que le chef de l'état, le premier ministre, les membres du gouvernement, les hauts fonctionnaires, les députés indiquent la voie de manger des produits importés parce qu'ils sont soit disant meilleurs que les produits locaux. On assiste a un déficit de démocratie. La construction d’une nation ou d’une nation ou d’un pays doit être les efforts et les sacrifices de tous.

Ils devraient montrer l’exemple. Ils devraient porter des vêtements locaux pour montrer ce qu'est la culture locale. Je pense que c’est quelque chose de très important. Mais aujourd’hui, en Afrique, malheureusement, ce n’est pas le cas. Les paysans sont considérés comme une sous classe. L’on me dit souvent, “Malgré votre niveau d’éducation, vous continuez à vouloir rester agriculteur? Vous voulez vraiment rester ici, au village? Pourquoi restez-vous comme nous? Vous avez été à l’école. Vous avez reçu une éducation.” Beaucoup de gens ne comprennent pas encore et ont du mal à accepter qu'une personne bien instruite puisse vouloir continuer à travailler les champs.

Notre dignité est de nous nourrir nous-mêmes

In Motion Magazine: Que signifie la souveraineté alimentaire pour l’agriculteur lambda?

Ibrahima Coulibaly: Je vais d’abord commencer par vous parler au niveau de la famille, car c’est la base de notre système économique et social. L’on dit que la première dignité d’une famille est de se nourrir elle-même. Pour moi, c'est cela la souveraineté alimentaire. Le fait de ne dépendre de personne, c'est ce à quoi aspirent toutes les familles. Toutes les familles sont gênées d’aller demander à manger au voisin. Si une famille de paysans africains en arrive là, elle éprouve une souffrance réelle. Demander quelque chose au voisin est vraiment difficile. Je pense que le concept est surtout cruciale au niveau de la famille d’abord.

La souveraineté alimentaire doit être un socle fondateur dans tous les pays du monde. Pourquoi les gouvernements refusent-ils de tenir compte de cela, en termes de développement? Nous refusons l’aide alimentaire par principe mais aussi parce qu’elle détruit nos marches locaux et change souvent les habitudes alimentaires. Nous refusons les produits importés. Nous sommes fières de notre dignité à nous nourrir nous-mêmes, dans nos pays, avec nos propres produits alimentaires. Si nous parvenons à cela, tous les autres problèmes se résoudront. Une dynamique économique se créera parce que les gens gagneront plus d’argent. Ils se diversifieront, car les marchés auront besoin de diversité. Ils gagneront plus d’argent, qu'ils réinvestiront dans leurs exploitations. C’est la base de l’économie. Ce n’est pas la peine d'aller étudier à Harvard pour comprendre cela.

Chaque fois que l’on casse un système qui fonctionne pour le remplacer par des choix incohérents, on se retrouve dans une situation similaire à la déstabilisation mondiale que l'on connaît aujourd'hui. Les marchés mondiaux sont détraqués. Dans les mois a venir, tous les gouvernements risquent d’être déstabilisés parce qu’ils n’ont pas appliqué les recettes qui fonctionnent réellement depuis plusieurs années. Je pense que la souveraineté alimentaire est à la base de tout ce qui fait marcher un pays. Il s’agit d’une politique cohérente à tous les niveaux -- au niveau de la famille, de la communauté, au niveau national et international.

Les agriculteurs sont des acteurs économiques

In Motion Magazine: L’Afrique semble sur le point d’être assaillie, en raison du lancement d’une Révolution Verte en Afrique par les Nations Unies, d’une part (du moins par les deux derniers secrétaires généraux, Kofi Annan et Ban Ki-moon) et par Bill Gates, de l’autre. Qu’en pensez-vous?

Ibrahima Coulibaly: Je ne suis pas surpris. Kofi Annan fait partie de la vieille génération formée dans les écoles coloniales. Ban Ki-moon vient d’Asie un continent ou le libéralisme exacerbe a tout pris. Le fait que Kofi Annan cautionne cela ne m’étonne pas. Il fait partie de cette génération de personnes qui créent des problèmes à l’Afrique parce qu’ils ne connaissent pas la réalité du terrain. Ce sont des diplomates brillants. Ils évoluent dans les institutions internationales. Il en existe des milliers, comme lui, en Afrique, qui pensent qu'il faudrait se débarrasser des classes paysannes pour les remplacer par des hommes d'affaires. Pour eux, l’implantation d’une entreprise employant une centaine de personnes est plus profitable au pays que le maintien de plusieurs villages regroupant des milliers personnes travaillant de manière autonome.

Pour eux, les entreprises sont des structures formelles que l’on peut évaluer de manière comptable, avec la comptabilité pour eux permet de faire entrer des impôts dans les caisses de l’état, mais très souvent ces dits imports sont re-injectés dans le système sous forme de subventions pour soutenir les mêmes entreprises agribusiness qui les avaient payées. A quoi cela rime-t-il?

Le vrai problème est qu’ils sont totalement incapables de comprendre que le problème n’est pas d’être une entreprise formelle ou pas la vrai avancée serait de considérer les paysans comme des acteurs économiques qui contribuent a la croissance de leur pays mieux que des entreprises du secteur formel. Les paysans et les agriculteurs familiaux dans le domaine agricole sont des acteurs économiques crédibles plus que des entreprises formels.

L’agriculture paysanne en Afrique ne rejette pas le progrès, parce que très souvent, l’on ramène le problème à une question de progrès, mais cela n’a rien à voir. Nous sommes tous en faveur de tout ce qui peut nous aider à aller de l’avant sans détruire nos moyens de production. Nous ne rejetons pas le progrès. Le problème, c’est que nous n’y avons pas accès tout au moins le type de progrès auquel nous aspirons.

Si vous ne pouvez pas obtenir de prêt bancaire pour commercialiser vos produits, ou si vous ne pouvez pas acheter de charrue ou une paire de boeufs pour tirer la charrue et labourer les champs, ce n’est pas avec les OGM ou les engrais chimiques que l’on va résoudre ces problèmes. Voilà des réponses totalement de phases qu’on amène très souvent ce genre de “progrès nous n’en voulons pas”. Quand votre priorité est de labourer le champ on vous propose d’acheter des semences hybrides ou OGM ainsi que des engrais chimiques et des pesticides. En tant que paysan si vous allez sur ces voies hasardeuses une chose est sur vous ne récupérerez jamais votre mise et vous allez dégrader votre outil de production. Il est peu probable que les personnes ayant satisfait leurs besoins matériels de base soient intéressées par ces questions, mais ce que nous leur disons, c’est que tout le monde doit recevoir une aide en termes de développement. Tout le monde doit pouvoir constater que ses besoins et priorités sont pris en considération dans les choix nationaux de développement c’est cela que la bonne gouvernance recommande. Le développement ne doit pas être un processus sélectif qui ne répond qu'aux besoins de quelques-uns pour laisser ceux du plus grand nombre de côté.

J’ai dit à mon gouvernement la chose suivante, “55 % de notre population ne dispose pas des moyens de base pour labourer leurs champs. Si vous êtes d’accord avec cela, utilisez l’argent public pour résoudre ce problème. Alors, je signerai le document et je vous donne ma garantie écrite que le Mali ne manquera plus jamais d’aliments.”

C’est simple. Je suis prêt à parier ma vie là-dessus. Les gens ne comprennent pas, parce que pour eux, vous devez acheter un tracteur, qui coûte très cher, et ces coûts, les paysans ne peuvent les supporter. Vous devez payer l’essence. Notre pays ne produit pas de pétrole. Cela coûte très cher. Vous devez donc payer le chauffeur et assurer la maintenance du tracteur avec des pièces détachées. Je connais des familles qui sont complètement ruinées et détruites parce qu'elles ont acheté un tracteur. Mais en donnant un âne, une charrue, et une paire de boeufs à un agriculteur, vous aidez une famille, vous renforcez l’économie. Vous faîtes naître un contribuable fiable. Des milliers de contribuables et de familles fiables constituent une base beaucoup plus solide qu’une société de l’agribusiness devant être subventionnée plus tard par le gouvernement. Voilà où réside le problème.

Comment contrôler les marchés locaux

In Motion Magazine: La Via Campesina est un réseau organisé de manière plutôt horizontale, tout comme le système économique que vous décrivez. Est-ce la manière de parvenir à une réelle démocratie ?

Ibrahima Coulibaly: Je vais être honnête avec vous encore une fois. Certaines membres au sein de La Via Campesina n’accordent pas assez d’importance a la question des marches et au positionnement des paysans pour leur contrôle. Je pense c’est une erreur tactique et surtout économique. On ne peut pas être paysan et ne rien vendre a moins de vivre en autarcie ce qui est plus difficile a faire qu’ a dire. Je pense qu’il faut que nous résolvions cette question des marchés locaux et nationaux. C’est un sujet qui n’est pas suffisamment abordé ce qui m’inquiète. Si je produis quelque chose, j’ai besoin d’en vendre une partie. Sinon, je plie bagage. On ne peut pas être un vrai paysan si on ne vend pas ce que l’on produit. Nous sommes des acteurs économiques. Je ne parle d’acteurs économiques tels que Merrill Lynch ou d’autres banques, mais de paysans qui nourrissent et construisent leurs pays, un point c’est tout. Cette économie horizontale dont vous parlez, c’est vraiment à ce niveau-là que nous avons besoin de construire, au niveau local et national. Sinon, nous resterons faibles a tout moment que nous seront confrontés au capital international.

Les gens doivent comprendre que les paysans représentent une force économique dans leurs pays et qu’ils peuvent devenir des acteurs politiques très puissants capables d’insuffler le changement une fois qu’ils parviennent à s’unir, à vendre ensemble et à recevoir un bon revenu. En Afrique on ne peut pas uniquement mobiliser sur base des slogans car les paysans africains vivent dans des réalités tellement difficiles qu’ils sont obliges de rester très concrets pour survivre. Les paysans africains sont des personnes terre à terre. Ils se mobilisent à partir de problèmes réels. Le vrai problème consiste à savoir comment contrôler les marchés locaux. Nous devons travailler là-dessus. C’est une question essentielle voir capitale pour l’avenir du mouvement Via Campesina.

Publié dans In Motion Magazine août 17, 2009